Plusieurs secteurs – comme l’industrie, le bâtiment, l’aide à domicile, les transports, l’agriculture…- peinent à recruter. De nombreux métiers se retrouvent en tension. Ce nouveau contexte fait-il évoluer les pratiques des entreprises ? Les conditions de travail peuvent-elles représenter un nouveau levier pour améliorer l’attractivité ? Éclairage de Florence Varandas Loisil, chargée de mission à l’Anact, et de Jérôme Bertin, responsable développement et coordination à l’Aract Auvergne-Rhône-Alpes.

Pour attirer des salariés, de nombreuses organisations privées et publiques se concentraient ces dernières années sur la façon d’améliorer leur communication, leur marque employeur, l’environnement de travail… La donne change-t-elle aujourd’hui ?

Jérôme Bertin, responsable développement et coordination à l’Aract Auvergne-Rhône-Alpes :  Cela ne change pas radicalement : face aux problèmes de recrutement, les entreprises travaillent toujours leur communication sur les postes à pouvoir, leur marque employeur, etc. Pour autant, on voit qu’il est nécessaire de ne pas se restreindre à ces dimensions : il faut aussi agir sur le recrutement, les conditions de travail, les pratiques d’intégration et d’adaptation des compétences. Cela bouscule fortement la GRH en entreprise. Mais certains secteurs évoluent en ce sens parce que les difficultés de recrutement rendent urgente la possibilité de ‘faire autrement’.

Florence Varandas Loisil, chargée de mission à l’Anact : Travailler sur la marque employeur, c’est quelque chose qui se voit facilement, se mobiliser sur les conditions de travail est moins visible… Mais nécessaire. Dans certaines entreprises, ce sont les questions en lien avec la santé au travail qui invitent à réinterroger les pratiques.

Quelles lignes bougent actuellement dans les entreprises pour gagner en attractivité ?

F.V.L. : Les pratiques de recrutement évoluent et font le lien avec les conditions de travail. Des entreprises regardent, par exemple, des profils plus diversifiés de candidats, qui n’ont pas le niveau de formation ou l’expérience souhaités au départ. Cela peut conduire à réinterroger les conditions d’accueil, les processus RH en termes d’intégration et de professionnalisation… Et à questionner le travail réellement attendu.

J.B. : Certaines entreprises intègrent davantage la notion de travail dans les recrutements. Elles conçoivent différemment les postes. Elles impliquent mieux l’encadrement et les équipes pour comprendre les besoins, organiser l’intégration, améliorer l’existant pour fidéliser. Dans certains cas, les équipes opérationnelles sont même associées au processus de recrutement.

F.V.L. : Une autre évolution à noter, c’est le changement d’échelle : dans les secteurs logistique et transports de voyageur, touchés depuis des années par les problèmes de recrutement, des entreprises ont déjà mis en œuvre des actions pour améliorer le recrutement, les équipements, les process – les modalités pour décharger les camions, etc. -. Aller plus loin les conduit à questionner des pistes d’amélioration, hors de l’entreprise :  sur la route, les quais de chargement chez les clients. La Fédération nationale des transports routiers s’intéresse par exemple au dernier kilomètre dans les zones de forte densité urbaine.

De quelles façons peut-on agir sur les conditions de travail pour en faire un facteur d’attractivité ?

F.V.L : Les départs de salariés ou les ruptures de contrat s’expliquent en partie par des conditions de travail difficiles, des relations au travail dégradées, un manque d’écoute du management, des horaires de travail difficiles à prévoir… Améliorer les conditions de travail, cela veut dire s’intéresser aux conditions réelles dans lesquelles le travail est réalisé, prendre en compte les remontées des opérationnels sur le terrain, favoriser la recherche collective de pistes de solutions avec les salariés.

J.B. : Cela suppose notamment de travailler le dialogue et le management. Ce sont des dimensions complexes qui apportent des réponses à moyen et long terme – rarement des résultats immédiats.

Si vous deviez donner trois conseils à un employeur qui peine à recruter aujourd’hui. Quels seraient-ils ?

J.B. : 1- Penser global, bien cerner où se situe le problème : carence de compétences, définition des postes, pratiques d’intégration, QVCT pour fidéliser… ou volatilité indépassable qui exige d’organiser autrement sa GRH.

2 – Travailler les pratiques de recrutement : d’abord le sourcing – en se rapprochant des acteurs du territoires – car les TPME sont encore très isolées – ou en songeant parcours professionnels internes, et ensuite fidélisation par la QVCT.

3 – Travailler les conditions d’emploi parce qu’elles ont un impact en termes de temps de travail, de qualité du contrat, d’avantages sociaux

F.V.L. : 1- Prendre soin des salariés qui sont déjà présents dans l’entreprise. Ceux-là ne seront pas à recruter, ils connaissent déjà l’entreprise, ce sont eux qui vont aider à intégrer les futurs salariés.

2 – Reconnaître la valeur des compétences et de l’expérience acquises au sein de l’entreprise en prenant en compte les propositions d’amélioration des salariés, en ouvrant la possibilité de parcours professionnels, en reconsidérant aussi les conditions d’emploi et de rémunération.

3 – Ouvrir les critères de recrutement à des profils plus diversifiés, car il y a la possibilité de professionnaliser les personnes en situation de travail.

QUESTION D’ACTU

Titre de séjour « métiers en tension » : Quid des conditions de travail ?

Le gouvernement a annoncé début novembre le projet de création d’un titre de séjour « métiers en tension » pour faciliter l’embauche de personnes immigrées dans les secteurs où l’on peine à recruter. Quelle place pour les conditions de travail dans ces situations ?

J.B. : Que nous ayons une immigration choisie ou pas, il reste essentiel de continuer à travailler les conditions de travail, et même si c’est un levier parmi d’autres. Nous avons autant besoin de salariés très qualifiés dans les secteurs de l’automobile et de la chimie par exemple, qui sont des secteurs sensibles aux conditions d’emploi et de travail, que de salariés moins qualifiés qui sont généralement dans des secteurs où les conditions de travail sont encore à améliorer.

Les conditions de travail seront un argument pour attirer et conserver tous ces travailleurs. Pour les travailleurs hautement qualifiés qui immigreront, de pays en difficulté mais aussi de pays plus riches, le sens au travail aura une grande importance. Prenons l’exemple de la filière nucléaire qui fait face à de nombreux défis. Il manque de personnes hautement qualifiées pour appliquer les nouvelles priorités du gouvernement. Les nouvelles recrues immigrées pourront trouver du sens dans les conditions de travail par la qualité de l’encadrement, la santé et la sécurité au travail, les systèmes de reconnaissance, les salaires, etc.

Cela renforcera sans doute également le besoin des entreprises de travailler de façon globale et systémique la question du recrutement : faire venir des personnes sur un territoire déserté qui offre peu de services, pas de métier pour le conjoint, sera difficile. Cela renforce la nécessité pour les entreprises de se rapprocher des autres acteurs territoriaux et de sortir ainsi de leur isolement pour travailler sur leur attractivité et la fidélisation notamment par l’accompagnement global de ces nouvelles recrues. Il ne suffit pas d’ouvrir les vannes, comme lorsque l’on travaille la diversification du sourcing, il faut rester attractif et se poser la question de la qualité de ce qui est proposé aux personnes qui entrent. Cela renforce l’actualité de la question des conditions de travail.

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